L'envers de la médaille

07/01/2020

Derrière une performance de haut-niveau, tout le monde ou presque s'imagine le travail, la rigueur, l'investissement, l'abnégation, l'hygiène de vie... quotidien et même annuel que cela demande. On comprend également que pour tendre vers le haut-niveau mondial, il faut du temps pour pouvoir s’entraîner, se déplacer, faire des stages, optimiser sa récupération et ainsi directement et indirectement de l'argent pour se mettre dans les meilleures dispositions pour essayer de performer.
Pourtant, d'un autre coté il existe énormément de croyances quant aux retours financiers ou l'accompagnement qu'il y a derrière.

En devenant Vice-champion du Monde de trail, beaucoup de personnes m'ont posé la question de savoir quelle somme d'argent cela m'avait rapporté ? Et beaucoup pensent à des sommes qui sont bien au-delà de la réalité, car je vous rassure, je ne suis pas devenu riche depuis !

Dans ma pratique sportive l'argent n'a jamais été une fin en soi pour moi. Tout au long de ma carrière, l'argent qu'a pu générer le sport dans ma vie, je l'ai toujours réinvesti dans ma pratique, dans ma préparation en me permettant d'avoir du temps, en me libérant du temps de travail pour l'entraînement, pour faire des déplacements, des stages.... Ma priorité a toujours été le plaisir de tendre vers le meilleur niveau possible, la performance et l'accomplissement personnel. Mes choix de compétions en ont découlé. J'ai quasiment systématiquement privilégié le côté sportif avec notamment les championnats nationaux et internationaux aux dépens de courses plus lucratives et/ou médiatique. J'ai eu la chance de ne jamais avoir été contraint dans mes choix et cette liberté n'a absolument aucun prix.
Ces choix, je les assume pleinement et je ne regrette absolument rien. Cela m'a permis de vivre des moments, des émotions, des rencontres, des endroits.... qui n'ont absolument aucun prix et qui ne s'achètent pas. J'ai par ailleurs, au cours de mes 31 sélections internationales, toujours donné, dans la plus grande loyauté, le meilleur de moi-même, sans arrière-pensée, simplement pour les valeurs et la beauté du sport. Et cela a toujours été un honneur, une fierté, un rêve et une belle responsabilité.

Mais pour revenir à la question initiale et en toute transparence, cette médaille d'argent m'a rapporté en tout et pour tout de la part de mon sponsor principal, que je remercie par la même occasion, Hoka One One, l'équivalent d'un mois de SMIC !
A côté de cela je n'ai perçu aucune prime de la part de l'organisation ou la fédération internationale.
Au niveau fédéral, même si la fédération a couvert tous mes frais pour le championnat, un stage et une reconnaissance, je (comme tous mes coéquipiers d'ailleurs) n'ai reçu aucune aide personnalisée, ni aucune prime (ni d'ailleurs au cours de ces 20 dernières années malgré 3 médailles internationales individuelles et 14 par équipe!) comme cela se fait pour les disciplines olympiques. Pourtant est-il plus difficile d'atteindre le haut-niveau au lancer de javelot par exemple qu'en Trail ou Course en montagne qui sont des disciplines beaucoup plus universelles ?
La discipline « Trail » ne donne pas réellement accès au statut de sportif de haut-niveau avec seulement une inscription sur la liste ministérielle "collectifs nationaux " (une liste de courtoisie mais qui n'ouvre absolument aucune porte !!).
L'accès aux diverses aides des différentes collectivités locales ou régionales se voit ainsi parti en poussière (et cela également pour la quasi totalité de ma carrière !). En tout et pour tout, tout au long de ma carrière, j'ai bénéficié d'environ 3000€ d'aide des collectivités pour m'aider dans ma préparation et ma quête de haut-niveau.
L'accompagnement vers le haut-niveau des disciplines comme la course en montagne et le trail (mais tant d'autres également) n'existe absolument pas ici en France.

Seul mon club de l'entente athlétique de Grenoble qui a une politique de performance et mes partenaires Hoka et Ergysport m'apportent une aide annuelle afin de me permettre de me préparer et me déplacer un minimum. Mais ces aides ne sont pas liées avec le championnat du Monde en tant que tel.
De manière plus générale, les sponsors privés qui ont longtemps été les grands financeurs du sport de haut-niveau se désengagement de plus en plus de celui-ci, se tournant de plus en plus vers l'image. Ce qui, je l'assume pleinement, ne m'intéresse pas réellement. Ce n'est d'ailleurs pas du tout la conception et les valeurs que j'ai de ma (la) pratique sportive de compétition. On comprend bien ainsi que beaucoup de coureurs se tournent vers des courses plus rémunératrices et/ou médiatiques au détriment des championnats internationaux qui sont pourtant le sommet de la pyramide du sport de compétition ! Pour cela il faut vraiment avoir la passion et j'espère que la jeune génération l'aura pour continuer à faire perdurer ces valeurs.

Ainsi peut-on dire que la France soutient ceux qui essayent de lui faire honneur à travers un sport qui, je le conçois largement, reste confidentiel ?
Je vous laisse faire votre propre opinion. 
Ce n'est en aucun cas une manière de se plaindre, se faire plaindre ou une quelconque amertume car ce sont, je le répète, des choix pleinement assumés qui ont été d'extraordinaires expériences. Je mène une vie heureuse et épanouie, en partie grâce au sport mais je voulais simplement donner un peu d'éclaircissement par rapport à certaines croyances d'une pratique de haut-niveau dans un sport non olympique en France afin de vous faire votre propre réelle opinion.

Ainsi je continuerai à vivre cette passion avec le même engouement et le même investissement avec encore, je l'espère, de belles années et belles choses à vivre.

Bonne année à tous